On vient de me demander mon avis sur la version 1.2 de la licence EUPL créée par l’Union Européenne, qui ne doit pas être confondue avec la licence EPL de la fondation Eclipse. Une des particularités de l’EUPL est d’être disponible en 23 langues (celles des pays membres de l’UE), toutes les traductions étant certifiées équivalentes et substituables. La version 1.2 de l’EUPL a été publiée en 2017. Elle n’est donc pas récente, mais je n’avais jamais pris le temps de l’étudier avant aujourd’hui.

Me basant sur mon vague souvenir des précédentes versions, j’ai cru voir une nouveauté dans la compatibilité délibérée de la version 1.2 avec plusieurs licences faiblement diffusives. Mais Benjamin Jean, fondateur du cabinet Inno³ et sans doute le juriste français le plus fin connaisseur des licences libres, m’a indiqué que cette compatibilité n’était pas spécifique à la version 1.2 de l’EUPL, que celle-ci l’avait juste étendue à de nouvelles licences permissives. Et en effet, on retrouve bien le même mécanisme dans la version 1.0 de l’EUPL.

Cette compatibilité me pose problème. Voici pourquoi.

L’intention première des auteurs de l’EUPL est claire ; ils voulaient une licence fortement diffusive et les clauses de l’EUPL semblent sans équivoque à ce sujet. Ceci étant, ils l’ont aussi souhaité explicitement compatible avec un certain nombre de licences libres, dont la liste est fournie en annexe du texte de l’EUPL. L’intention est louable, mais c’est la liste des licences annoncées compatibles qui sème le trouver et peut même se révéler toxique pour les utilisateurs.

Intéressons-nous aux clauses dites « copyleft » et « de compatibilité » de la section 5 de l’EUPL (le texte ci-dessous est extrait de la version 1.2) :

Clause copyleft: si le licencié distribue ou communique des copies d’œuvres originales ou d’œuvres dérivées, cette distribution ou cette communication est effectuée dans les conditions prévues par la présente licence ou une version ultérieure de cette licence, sauf si l’œuvre originale est expressément distribuée en vertu de la présente version de la licence uniquement, par exemple au moyen de la mention «EUPL v. 1.2 seulement». Le licencié (qui devient donneur de licence) ne peut pas, en ce qui concerne l’œuvre ou les œuvres dérivées, offrir ou imposer des conditions supplémentaires qui restreignent ou modifient les conditions de la licence.

Clause de compatibilité: si le licencié distribue ou communique des œuvres dérivées ou des copies de telles œuvres basées à la fois sur l’œuvre et sur une autre œuvre concédée sous une licence compatible, la distribution ou la communication peut être faite aux conditions de cette licence compatible. Aux fins de la présente clause, une «licence compatible» est l’une des licences énumérées dans l’appendice de la présente licence. Dans le cas où les obligations du licencié au titre de la licence compatible entrent en conflit avec les obligations du licencié au titre de la présente licence, les premières prévalent.

De la lecture de ces clauses, il ressort que :

  • Toute version modifiée d’une œuvre originelle diffusée sous licence EUPL ne peut être diffusée que sous licence EUPL ou autre version ultérieure.
  • Mais que toute œuvre composée qui intègre une œuvre diffusée sous licence EUPL, peut être diffusée sous l’une des licences libres fournies en annexe.

Initialement conçue comme une licence fortement diffusive, l’EUPL se rapproche ainsi d’une licence à copyleft faible – puisqu’elle autorise la distribution d’une œuvre composée sous une licence autre que l’EUPL – sans en être réellement une puisque l’utilisateur n’est pas totalement libre de choisir la licence de l’œuvre composée. Il ne peut opter que pour l’une des licences listées dans l’annexe, ce qui exclut notamment les licences propriétaires (alors que les licences faiblement diffusives permettent justement ce type d’assemblage).

La licence EUPL nous promet de jolis procès car, partant d’une bonne intention, elle se révèle aussi problématique que l’exemption open source de la licence de MySQL. Imaginons en effet qu’un auteur décide de publier sous licence GNU LGPL un composant qui en intègre un autre diffusé sous licence EUPL. De par la clause de compatibilité de l’EUPL et la liste des licences annoncées comme compatibles, il est parfaitement en droit de le faire. Imaginons maintenant qu’une entreprise décide d’utiliser ce composant publié sous licence GNU LGPL dans son application propriétaire. Au regard de cette licence et à condition d’en respecter les conditions, elle pense de toute bonne foi être en droit de le faire. Mais en réalité, ce composant intégrant du code diffusé sous licence EUPL, l’entreprise ne peut diffuser son application que sous l’une des licences listées dans l’annexe de la licence EUPL. En intégrant ce composant dans son application propriétaire, elle se rend coupable d’une violation du droit d’auteur.

Autre hérésie, l’EUPL s’annonce compatible avec la licence CC-BY-SA alors que cette dernière n’a pas été conçue pour protéger du code source mais des œuvres littéraires et artistiques (cf. la réponse apportée à la question Can I apply a Creative Commons license to software? dans la FAQ du collectif Creative Commons). Diffuser du code source sous licence CC-BY-SA est donc une des pires idées qui soit.

Et vous prendrez bien un dernier piège pour la route : la Commission Européenne se déclare libre d’ajouter des licences à la liste des licences compatibles sans pour autant publier une nouvelle version de la licence EUPL.

La compatibilité de la licence EUPL me semble in fine toxique, car elle mélange les genres et sème le trouble. Dans ces conditions, je ne peux que déconseiller son usage.