Les projets libres invitent par nature à la collaboration. La communauté qui en émerge doit disposer d’un espace d’échange. Si les listes de diffusion étaient autrefois privilégiées, leurs défauts et limitations les ont rendues désuètes, et la plupart des communautés leur préfèrent désormais un autre média.

Beaucoup de projets libres ont ainsi adopté une messagerie instantanée – ou chat – telle que Discord, Slack, Mattermost, RocketChat ou Element. Ce choix se comprend : la plupart de ces plateformes sont proposées en mode SaaS et disposent d’une offre gratuite (à minima tant que la communauté ne dépasse pas une certaine taille et qu’elle n’a pas besoin de fonctions avancées). Elles n’engendrent donc aucun cout d’exploitation, aucune charge mentale. En outre, la messagerie instantanée favorise l’interactivité, les échanges informels et la spontanéité. En première approche, elle semble n’avoir que des avantages.

À la lumière de mon expérience, je considère pourtant que les projets libres font une erreur en optant pour une messagerie instantanée. Ils devraient privilégier un forum moderne, tel que Discourse.

Pour vous en convaincre, voici les défauts inhérents à peu ou prou toutes les messageries instantanées :

  • Les chats sont fermés, leur contenu n’est pas indexable par les moteurs de recherche. Les personnes qui ne sont pas abonnées ne peuvent donc pas avoir accès aux échanges, elles ne peuvent pas les trouver ou même soupçonner leur existence.
  • Le chat est par essence une métaphore de la cascade : les nouveaux échanges apparaissent et font oublier les anciens. Les personnes qui n’étaient pas connectées « au moment où » les échanges ont eu lieu les ignorent. La dernière fois que je me suis connecté au chat de Tetaneutral, l’outil m’a signalé 831 messages non lus. J’ai directement sauté aux derniers pour prendre connaissance des échanges en cours, sans m’intéresser aux plus vieux. Je n’avais pas le temps de parcourir ces échanges « en vrac » pour voir si ma contribution à certains pouvait être utile.
  • Plusieurs projets libres auxquels je me suis intéressé ont opté pour la version gratuite de Slack. Les échanges sont effacés au bout de 90 jours. Un chat est encore moins un accumulateur de connaissances quand il est, par configuration, amnésique.
  • Dans un chat, les échanges sont, au mieux, ventilés sur plusieurs canaux thématiques, mais pas par question ou sujet. Les échanges sur des points sans le moindre rapport s’entremêlent. Isoler a posteriori les messages liés peut être difficile ; rebondir sur un sujet encore plus.

J’avais déjà identifié les défauts inhérents aux chats lorsque, en 2018, j’ai invité la communauté du projet Orekit à abandonner les listes de diffusion au profit d’un forum moderne (Discourse) :

  • Le contenu est indexé et trouvable (soit via le moteur de recherche intégré, soit via un moteur de recherche externe tel que Google ou Bing).
  • Il peut être consulté par des personnes qui ne possèdent pas de compte (elles représentent, hors bots, environ 60 % des pages consultées sur le forum d’Orekit).
  • Il est pérenne (vous trouverez sur le forum d’Orekit des échanges datant de 2018).
  • Les échanges sont organisés par catégorie et par question (i.e. topic). Une personne peut retrouver un échange remontant à six mois sur une question donnée et relancer le sujet en y apportant sa contribution.

Pour illustrer mon propos, si on saisit les mots « orekit data context » dans un moteur de recherche, l’échange à ce sujet sur le forum, celui où un contributeur a proposé d’implanter cette fonction en expliquant pourquoi et comment, avant de revoir son design pour intégrer un autre cas d’usage signalé par un utilisateur, a longtemps été le premier résultat renvoyé. Cet échange tend désormais à être supplanté par des liens vers la documentation, preuve que le contributeur a bien fait les choses (i.e. documenté la fonction). :)

Je ne nie pas l’intérêt d’un chat. Je souligne juste qu’il n’est pas un accumulateur de connaissances, qu’il ne rend pas une communauté visible et qu’il ne montre rien de son dynamisme. Un chat, c’est un espace de discussion, le bar du projet, réservé aux membres du club, même si l’adhésion est gratuite et ouverte à tou⋅te⋅s.

Le forum contribue, lui, à la visibilité du projet ou, plutôt, de sa communauté. Il est tourné vers l’extérieur autant que vers l’intérieur. Pour moi, le choix d’un forum est tactique.

Je sais que cet article ne fera pas retourner leur veste aux accros de Discord et je n’ai pas cette ambition. Mais quand j’entends des personnes se plaindre de la difficulté qu’elles ont à faire grossir leur communauté et que je vois qu’elles ont pour seul et unique lieu de discussion un salon Discord, je me dis qu’il ne faut pas chercher plus loin la cause du mal. Cela est valable pour les projets libres comme pour les tiers-lieux.